J’avais tout pour être heureuse…
J’avais tout pour être heureuse…
Un chemin vers la guérison… c’est possible !
Lorsque l’on est plongé, bloqué, englué dans le cercle vicieux de la boulimie, difficile de s’imaginer qu’un jour on puisse dire: “Je ne suis plus boulimique”…Très difficile!
C’est pourtant ce qui m’est arrivé et j’espère, en retraçant mon chemin vers la guérison, apporter un bol d’espoir à celles et ceux qui sont à bout de souffle, qui en ont raz le chou, plein le dos, bref, qui ne voient plus aucune solution pour aller mieux.
Mes problèmes de boulimie commencent à l’âge de 16 ans. Je suis au bord du gouffre, obsédée par la nourriture du matin au soir et habitée chaque matin au réveil par la sensation d’être une folle, une extraterrestre, juste bonne à quitter ce monde. Bien entendu, mon entourage ne soupçonne rien de ma détresse car l’image que je donne en société est celle d’une jeune fille sportive, pleine d’énergie, motivée et qui plus est sûre d’elle. Je ne m’attarderai pas davantage sur cette période de malêtre profond car mon but est de montrer comment je m’en suis sortie et non la description du symptôme.
Rien d’autre ne compte que la bouffe et moi.
De 16 à 20 ans, je suis mal. Je vais voir un tas de gens: psy, naturopathes, magnétiseurs… J’essaie des tas de méthodes: nouveaux régimes, structuration des repas, massages…. Tout ceci me soulage en superficie mais dans le fond, rien ne change: il y a moi et la bouffe, la bouffe est moi. Rien d’autre ne compte. A 21 ans, je suis en 2ème année de l’Ecole de Théâtre Dimitri et je n’en peux plus. Je suis sur le point de quitter l’école (qui pourtant me plaît) car je ne vois aucune solution à mon problème et mon énergie vitale est épuisée. C’est au plus profond de ma crise que je fais le premier pas vers la guérison : je réalise que j’ai besoin d’aide. Non pas quelques coups de pinceaux externes mais une véritable aide, en profondeur.
Alors je cherche. Le hasard fait que je me retrouve à Paris pour mon premier weekend de thérapie de groupe chez une thérapeute gestaltiste. C’est le début d’une longue et intense période de travail sur moi-même qui durera quatre ans, à raison d’un weekend tous les 2-3 mois en moyenne.
J’ai dû me reconstruire, pièce par pièce
Cette thérapie a changé ma vie, je peux même dire qu’elle m’a sauvé la vie. L’activité principale durant ces quatre ans a été de déconstruire toutes mes croyances, mes principes, mes masques, ma rigidité mentale, ma façon de communiquer, pour ensuite me reconstruire, pièce par pièce, une nouvelle identité sur des bases solides et saines. Vaste programme ! Quel investissement en temps, en argent et en énergie… Mais pouvoir croquer la vie à pleines dents au lieu de se regarder vivre et passer ainsi à côté de la vie, ça n’a pas de prix !
Avant la thérapie j’avais peur du contact avec les gens, je ne savais pas comment communiquer, je cherchais désespérément une raison à ma boulimie, je jugeais tout et tout le monde et j’étais terrorisée par le jugement que les autres pouvaient avoir sur moi. Contrairement à ce que je croyais, c’est en acceptant mes boulimies, en m’intéressant aux autres (vraiment !), en osant être moi-même, en apprenant à communiquer avec fermeté mais avec douceur et surtout en arrêtant de me regarder le nombril que mes boulimies, un jour, sans même m’en rendre compte, s’en sont allées. J’étais la championne de l’intellectualisation, des raisonnements, des principes, des réponses toutes faites, des discours réchauffés mais le vrai contact, celui qui fait que deux personnes vibrent ensemble, échangent, partagent quelque chose, je ne savais pas le faire.
S’il y a une chose qui, aujourd’hui avec le recul, me paraît indispensable pour commencer à aller mieux c’est l’apprentissage de ce contact, qui d’une part nourrit l’autre et d’autre part nous nourrit nous-mêmes.
Je vous souhaite à tous de pouvoir, pas à pas, avancer sur un des chemins qui mène à la guérison, je suis moi-même toujours en route sur le mien car, même si aujourd’hui je peux dire que je ne suis plus boulimique, j’ai encore beaucoup à apprendre et ce… jusqu’à la fin de mes jours ! »
Valentine (Oh, 2009)
Témoignage d’une sœur
Dans un mois jour pour jour, je prends mon envol. La vraie indépendance dont chaque étudiant rêve, arrive enfin. Toutefois, les circonstances sont troublantes : je n’aurais pas voulu que ça se passe ainsi. Pas du tout.
Ma tête est vide, parce que trop pleine. Mon cœur semble s’être arrêté, car noyé. Bizarrement, l’absence latente de ma sœur m’envahit chaque jour. Tant de paradoxes m’habitent : suis-je dénuée de sentiments ou saturée en émotions ?
Aujourd’hui, je dois refaire la paix avec moi-même. Un affreux sentiment de culpabilité est apparu (peut-être l’avais-je toujours refoulé ?) : j’ai perdu LA bataille, celle de la famille, celle que personne ne devrait jamais perdre. Ma confiance en moi en a pris un coup. Pendant plus de deux ans, j’ai tenté de m’effacer, de laisser le tsunami faire son travail de désastre et ai tiré ponctuellement et discrètement des sonnettes d’alarme auprès de personnes extérieures à la famille. Mais aujourd’hui, je me retrouve avec un manque de reconnaissance et d’attention qui me fait souffrir. Voilà sans doute pourquoi cette prochaine indépendance me déstabilise et fragilise mes sentiments.
L’ouragan que nous avons traversé nous a changé en tant qu’individus mais a aussi transformé nos relations. Nos croyances ont évolué et nous ne nous reconnaissons parfois même plus nous-mêmes, alors comment reconnaître l’autre ? Ainsi, je pense qu’il est primordial que nous nous retrouvions chacun de notre côté. Je dois refaire le point dans ma vie. J’apprends donc petit à petit à accepter mon départ comme une chance pour redémarrer sur des bases plus solides : j’espère que vous comprendrez donc la distance que je vais devoir instaurer dès mon déménagement. L’éloignement physique de la maison familiale m’est essentiel.
Pour finir, ce qui me console, c’est que si toute cette histoire me touche tant, me tire les larmes plusieurs fois par semaine et me fait parfois réagir brusquement, c’est qu’au fond, j’espère pouvoir changer les choses, avoir à nouveau foi en l’avenir, pouvoir à nouveau accepter les marques d’affection d’autrui, oser sortir de mes zones de confort autrement que de courir ou d’étudier comme une damnée… Je veux retrouver mon optimisme et surtout la personne qui me caractérisait et que j’aimais aussi ! Finalement, mon espoir n’est pas mort. Sachez que je HAIS notre situation, mais que j’aime la vie : j’aime les challenges qu’elle me propose de relever, les personnes qu’elle m’a permises de rencontrer, les choix qu’elle m’a laissés opérer, les expériences que j’ai pu vivre en voyages, la nature qu’elle m’offre chaque jour. Et je vous aime Vous…
Une soeur en reconstruction (juin 2016)
Témoignage de Sarah
(…) Je pense très souvent, et surtout ces temps-ci, à ma vie, à la nourriture ainsi qu’à mes angoisses. Ressasser ces pensées me plonge dans un sentiment de tristesse et d’impuissance. Je me suis dit que de compulser par écrit ce qui me passe par la tête m’aiderait peut-être à rendre ce bouillon moins amer et, qui sait, à y avoir plus clair. Ecrire dans le vide s’apparente pour moi à un exercice périlleux d’où structure et discours cohérents risquent à chaque instant d’être absents, rendant du même coup la mise par écrit inutile. C’est pour éviter cet écueil que je me permets de vous transmettre ce message, sans penser qu’il présente un intérêt particulier et en espérant, surtout, ne pas vous déranger.
La nourriture a certainement été l’une des craintes omniprésentes dans ma vie ces 15 dernières années. Lorsque pour tout le monde, je menais une vie normale et insouciante, elle a toujours représenté une source de tension, même sous couvert d’un comportement apriori normal. Peur de ne plus pouvoir m’arrêter une fois assise à table sans réussir à comprendre pourquoi, sentir que quelque chose de malsain, d’anormal se joue à chaque repas, devoir lutter pour ne pas engloutir mon assiette en deux minutes, avoir faim, puis essayer de manger normalement sans être jamais apaisée, se remplir le ventre à en exploser, sentir le vide extrême en ne mangeant presque rien. Une vie jalonnée par des phases qui se répètent inlassablement : grossir, être terrorisée, tenter de réagir, maigrir pour ensuite regrossir, se gaver, vomir, lâcher prise sans pour autant être apaisée, enfin terminer par se restreindre. Quitte à devoir souffrir, au moins exprimer ce chaos alors indéfinissable et insaisissable par un corps à l’esthétique rassurante, se laisser de la marge de manœuvre en cas de dérapage. J’ai la plupart du temps réussi à garder le contrôle sur mon corps sans inquiéter quiconque. Mais finalement, la seule constante qui marque implacablement toutes ces années, en dépit des fluctuations de l’apparence, a toujours été un sentiment d’éternelle anormalité, de détresse et de solitude.
Si la nourriture a joué, sans que je ne le sache vraiment alors, le rôle de paratonnerre, j’ai par contre toujours senti que je n’allais pas bien. Des ressentis, des faits concrets comme la peur des autres, d’être jugée, du contact, la crainte d’être nulle, moche et inutile ou encore la honte constante de tout ce que je peux faire, dire ou penser ont signifié concrètement un mal être plus profond. Progressivement, le stress démesuré, la pression, la tension sont devenus des compagnons de vie avec lesquels j’ai appris tant bien que mal à partager ma vie, faute de pouvoir m’en défaire.
J’en suis arrivée parfois à me dire que le mal être, les angoisses ou la solitude extrême dans laquelle je me suis retrouvée coincée, même entourée des miens, étaient mon fardeau, une partie constitutive de mon être. Faire semblant que tout va bien dans le meilleur des mondes est très incommode, mais plus supportable que l’idée d’être démasquée. N’être qu’une pâle copie de ce que les gens imaginent génère un sentiment mêlé de crainte et de honte. J’ai souvent eu la triste sensation d’être une usurpatrice, bien éloignée en réalité de tous les adjectifs flatteurs que les gens formulent à mon sujet. Sans être capable de me délester de ces entraves, souvent tendue, parfois agressive, mais toujours souriante, j’ai survécu grâce à la nourriture, par l’excès ou la restriction, parfois à l’alcool ou n’importe quelle autre substance. Je comprends aujourd’hui, que je n’ai toujours recherché qu’un moyen d’apaiser, d’anesthésier, de museler provisoirement mon ressenti ou la tension.
Difficile d’imaginer, il y a encore deux ans que j’écrirais un jour un tel message. Déjà deux ans que j’ai entamé à petit pas ce qu’il me plaît d’appeler parfois « l’ascension de l’Everest en tongs ». Parce que j’ai le sentiment de mener une expédition bien ambitieuse à la lumière du chemin à parcourir. Je me dis parfois, en repensant à ma vie, que la capacité de résistance de l‘être humain est admirable. Comment ai-je fait pour tenir, parodier la vie si longtemps ? Peut-être simplement parce que je pensais qu’aucune autre perspective ne s’offrait à moi, que j’étais condamnée à m’accommoder à cette vie-là ou à y renoncer définitivement.
Prendre contact avec votre association a représenté une première prise de conscience encore hésitante qu’autre chose était possible pour moi. Un instinct de survie qui m’a poussé à sortir de la torpeur dans laquelle, au fond, je végétais depuis toujours sans savoir comment ou pouvoir m’en extraire. Je m’étais toujours promise que le jour où je gagnerais ma vie, je tenterais de faire quelque chose pour essayer d’aller mieux. Je ne savais pas trop ce que j’étais en train d’entreprendre, mais j’ai été soulagée de briser un peu la solitude, de mettre des (demi) mots sur un vécu douloureux que je n’avais jamais partagé. La porte d’entrée vers un espoir encore imperceptible a été la relation difficile que j’entretiens avec la nourriture; au fond, peu importe la porte par laquelle je suis entrée, tous les comportements vecteurs de souffrance que j’ai développés n’ont été que des formes d’expressions variées pour crier le même mal être.
Depuis que j’ai entamé une thérapie, le moindre pas en avant, ou vers autre chose, prend beaucoup de temps. Mes tongs ne sont pas très adaptées à la haute montagne, peut-être qu’un jour aurais-je le courage de les abandonner pour des chaussures plus commodes. Mais en tout cas j’avance, en dépit des difficultés et même si parfois, -souvent je fais du surplace, je n’abandonnerai pas. Sentir et imaginer à quoi peut ressembler la vie sans fard est devenu trop précieux, même si je mesure avec beaucoup de tristesse le temps que j’ai perdu, les situations pénibles que j’ai endurées, le mal que j’ai pu infliger aux autres. Après deux ans de thérapie, j’ai l’impression de me réveiller déboussolée sur un champ de bataille dévasté sans savoir que faire et où aller. J’espère vraiment un jour trouver le bon chemin qui me ramènera chez moi, même si la nourriture doit continuer à me poser quelques problèmes. Il est vrai que je peine à m’imaginer complètement libérée de certains comportements, mais pour le moment je ne me focalise pas trop là-dessus et essaie de faire au mieux dans les limités de ce que je peux.
Et d’ailleurs, quelle que soit la suite de mon histoire et la tournure qu’elle prendra, si aujourd’hui je peux entrevoir la vie autrement, si je goûte par petite bouchée à toute son intensité, ses nuances, si je parviens peu à peu à exister, c’est d’abord grâce au soutien que vous m’avez apporté alors que j’avais besoin d’aide. Et je voulais vraiment vous en remercier infiniment.
J’espère pouvoir rajouter à cette histoire, un jour, quelques lignes qui laisseront envisager un happy end à l’américaine… je sais qu’au fond je le construis déjà. Même si je déteste les films qui finissent bien !
Sarah, 2016
Naître une deuxième fois
J’ai tout d’abord souffert d’anorexie pendant trois ans, puis de boulimie, le tout pendant presque vingt ans. J’ai connu des moments de désespoir intense à l’idée que toute ma vie serait conditionnée par ce rapport douloureux, obsessionnel et inextricable avec la nourriture.
Je savais que quelque chose clochait bien sûr : les os de mes hanches saillants, mon ventre creux mais qui me plaisait en même temps, mon visage blafard, mon mal être profond. J’étais toujours fatiguée, très souvent nerveuse, angoissée, à fleur de peau, j’avais mal à la tête, de la peine à me concentrer, à suivre des conversations, ma tête « raisonnait », j’avais un poids ou un vide énorme en moi.
Avec les innombrables crises de boulimie (jusqu’à dix par jour… ), je me suis sentie horriblement coupable, nulle, faible, monstrueuse. Je m’en voulais d’être mal alors que soi-disant « j’avais tout pour moi » : des parents aimants, le confort matériel, une tête qui fonctionnait bien, un visage plutôt agréable. Je m’en voulais de faire subir cela à mes parents et de mentir continuellement. Ma souffrance, ma détresse, ma honte, dans un silence assourdissant et une terrible solitude, étaient insupportables.
A cause de cette culpabilité, il m’a fallu dix ans pour réussir à me dire : certes des gens souffrent, il y a des guerres, la famine, ma meilleure amie qui a un cancer, mais je vais mal et il est légitime que je sois aidée. J’ai alors entrepris une thérapie qui dura cinq ans, qui fut une étape cruciale dans mon processus de guérison jalonné de déclics. Le dernier, en particulier, fut ma rencontre avec Docteur C que j’ai cherché, choisi seule, dans une période de sévère dépression avec hospitalisation. La deuxième phase de mon travail psychologique avec ce psy m’a sans l’ombre d’un doute sauvé la vie.
Toute la thérapie a eu un but : prendre ma place, ma place de femme, d’amie, d’amante, de mère, de fille aussi, ma place, oser être qui j’étais au fond depuis toujours. Exister, vivre, par moi-même et pour moi-même ! Environ trois mois après le début de notre travail, j’ai réalisé un matin que je n’avais plus d’idées suicidaires ou de pensées obsédantes concernant la nourriture. J’ai encore eu quelques rares crises mais je savais que le mécanisme était en train de s’éteindre. Je n’en avais plus besoin. Aujourd’hui, face aux épreuves inévitables de la vie, ce mécanisme ne s’active plus.
J’ai peu à peu appris à m’affirmer, à dire ce que je pense, ce que je ressens, à oser exprimer aussi les émotions négatives, à ne plus être dans le tout ou rien, à m’exprimer avec mesure. Il m’est devenu plus naturel de poser mes limites, de ne plus me comporter pour faire plaisir, par peur de décevoir, de faire de la peine, de susciter de la colère, de la désapprobation. J’identifie ce qui n’est pas bon pour moi . Désormais, je sens si quelque chose n’est pas clair dans ma vie, et je ne le supporte pas. Si je n’écoute pas et ne fais pas ce qui est bon et juste pour moi, je dors moins bien, je perds de l’énergie, j’ai moins d’entrain, mes rêves sont révélateurs. Je suis heureuse que mon corps, autrefois mon pire ennemi, soit désormais un précieux allier qui me serve d’alerte !
J’ai compris que dans tout lien peuvent coexister la douceur, la tendresse, la joie, les rires, mais aussi la tristesse, la colère, la déception, la peine, et que ce n’est pas la fin du monde, que c’est normal, que rien de terrible ne va pour autant arriver! Je suis tombée malade car j’ai tu et enfermé mes sensations et émotions, car je n’étais pas moi, j’étais à côté de moi, engluée dans d’autres que moi.
J’ai ainsi découvert et ressenti peu à peu un bien être que je n’avais jamais éprouvé : j’ai fait connaissance avec la légèreté, la liberté, la sérénité, le bonheur de vivre, l’acceptation de ce qui est. J’ai compris au fur et à mesure de mon parcours à quel point lorsque je suis clair avec les gens et au clair avec mes propres émotions et envies, besoins, tout est beaucoup plus facile, fluide, léger, évident. C’est comme si j’avais recollé les pièces du puzzle de qui je suis. Je vais commencer une formation en janvier 2018, j’ai des projets de reconversion professionnelle, des envies de voyages, des amis formidables, je me sens prête pour LA rencontre ! Ma vie à terre il y a cinq ans me comble aujourd’hui chaque jour un peu plus, et j’en profite pleinement.
Durant cette thérapie, j’ai évidemment vécu des moments très éprouvants, mais j’ai pris confiance dans le fait que je peux les vivre, les traverser, les surmonter sans TCA. Je n’ai plus honte de la maladie dont j’ai souffert, qui n’est plus un tabou d’ailleurs, car aussi terrible fut elle, elle m’a révélé à moi-même : je suis aujourd’hui persuadée que chaque maladie a sa raison d’être, tout comme chaque rencontre nous apprend quelque chose sur nous-même.
Au fond, je crois que la chose la plus difficile est de reconnaitre et d’admettre que quelque chose ne va pas et qu’on souffre, et en même temps d’oser espérer qu’on ne vivra pas ainsi toute sa vie ! Il est essentiel de parler, de se confier, de ne pas rester emprisonné dans cette maladie perverse comme je l’ai fait trop longtemps.
La guérison s’est faite par étapes, sur dix ans, et aujourd’hui, depuis trois ans, je suis totalement guérie. Je suis toujours en thérapie, nous terminons doucement. Je reviens de tellement tellement loin que j’accepte totalement les quelques marches qu’il me reste encore à gravir pour me libérer totalement.
Je tiens à dire qu’il s’agit de mon parcours et qu’en aucun cas je ne détiens un mode d’emploi, une façon de sortir d’un TCA. Il appartient je crois à chacun de découvrir sa voie de guérison. Dans mon cas, cela est passé par un immense travail psychologique, un travail de libération de ma parole, de réappropriation de ma vie, de ma place, de mon esprit, de mon corps, de mes émotions, et d’identification de mes envies et besoins.
J’ai le sentiment fantastique d’être née une deuxième fois !
Sandrine, le 8 mai 2017
Témoignage d’Emma
Un jour, alors que j’avais 15 ans et demi, j’ai remarqué que j’avais plus de rondeurs que ce que je ne le soupçonnais, ainsi que de la cellulite; j’en ai été horrifiée.
J’ai tout de suite décidé que j’étais trop grosse, et que tous les régimes déjà essayés plusieurs fois, n’auraient jamais vraiment fonctionné; je commençais à grandir, il me fallait une solution efficace.
Ma première solution : rejeter tout ce que je mangeais, à peine les repas terminés. De cette manière je me faisais plaisir, je passais des bons moments à table avec ma famille, et je ne prenais pas de poids…. Et cela a vraiment fonctionné, sans me causer aucun problème, me semblait-il, jusqu’à ce que, deux mois plus tard environ, ma mère découvrit mon petit, innocent secret.
Je devais en finir avec ça, mais je ne pouvais pas me permettre de prendre du poids, ou même de ne pas en perdre. Une petite voix s’était déjà installée dans un coin de ma tête et n’arrêtait pas de me rappeler que je devais trouver des astuces pour me débarrasser de ces kilos de trop, qui étaient tellement gênants.
Il me fallait trouver autre chose. Ainsi, presque inconsciemment, j’ai arrêté de manger toutes pâtisseries, gâteaux ou friandises (…) .
Quelques mois plus tard, à l’âge de 16 ans, je suis devenue végétarienne. Assez rapidement, ou peut-être en même temps, j’ai arrêté de manger du pain et des pâtes et aussi les pommes de terre : il s’agissait de féculents, dont, j’en étais alors persuadée, mon corps n’avait pas besoin.
La quantité de nourriture présente dans mon assiette diminuait toujours plus, et était formée entièrement de légumes et parfois de fruits. J’aimais bien que les gens remarquent « mes progrès ». Ma famille ne semblait pas alarmée ; ils ne voyaient pas ce que je mangeais à midi et, le soir, pensaient que c’était légitime de vouloir manger une simple salade avant d’aller dormir.
Les mois défilaient, mes habits s’élargissaient, le chiffre affiché sur le pèse-personne diminuait. Tout allait bien, la vie était belle.
Jusqu’à ce que j’aille consulter un médecin, poussée par ma famille qui s’était rendu compte, à travers une photo, que j’avais perdu beaucoup de poids en peu de temps. Je ne comprenais pas pourquoi ils voulaient me faire perdre mon temps, alors que la dernière année de collège m’en demandait déjà assez.
Pourquoi devais-je consulter un médecin alors que j’étais en bonne santé ? Je montais les escaliers du collège jusqu’au dernier étage sans me fatiguer, parfois même en portant des petits talons. Et pourquoi me conseiller d’aller parler avec une nutritionniste ? Je m’y connaissais très bien, moi, en nutrition : les petits légumes que je mangeais ne me faisaient rien, tout le reste faisait grossir et était à éviter (…)
(…) Puis le diagnostic « anorexie mentale » a été posé. La petite fille naïve qui était en moi n’a pas su comment réagir, elle est simplement restée fixer cette feuille pendant quelques instants. Je n’ai jamais voulu être anorexique.
Et pourtant, paradoxalement, à partir de cet instant, j’ai commencé vraiment à me comporter comme telle. Bien sûr, sous la surveillance de ma famille, je réintégrais des céréales et des protéines dans mon régime (pas l’huile, c’était beaucoup trop), mais à quel prix ? Je suis devenue paranoïaque, obsédée par les calories, par le nombre de pas que je faisais chaque jour, par le pourcentage de ci et de ça dans tel ou tel aliment, par le temps que j’employais à manger, même par la couleur de mon assiette : le bleu et les couleurs foncées couperaient l’appétit, pas vrai ? Mais moi, ce qui me coupait l’appétit, était ma vie en général.
Le regard de mon petit frère qui avait 10 ans à l’époque, qui ne devait pas comprendre pourquoi maman se fâchait quand je ne terminais pas mon assiette.
Le silence de mon père qui ne savait pas comment s’y prendre avec moi.
Mon poids qui descendait, l’angoisse de ma mère qui augmentait.
Les rendez-vous chez les médecins et psychologues qui s’accumulaient.
L’école, l’école de musique, les cours de chant étaient un bon moyen pour m’occuper l’esprit, mais ce n’était pas assez ; les voix dans ma tête criaient plus fort que la musique que je jouais. Elles disaient que je n’étais pas assez jolie, assez forte, intelligente et surtout assez mince.
Mes cheveux tombaient, j’arrêtais de ressentir des émotions. Mes journées étaient fades, comme les feuilles de laitue que je me forçais à avaler.
Je pleurais, parfois, souvent. J’avais des cauchemars, chaque nuit. Mais mêmes les cauchemars me faisaient moins peur de ce que je devenais, de ce que mon cerveau me disait de faire.
J’ai perdu du poids, certes, mais j’ai perdu une partie de ma vie avec. J’ai perdu la joie de vivre, le plaisir de passer du temps avec ma famille et mes amis. En fait, j’ai presque perdu aussi mes amis.
Une de mes citations préférées est celle de Charles Swindoll : « La vie, c’est à 10% ce qui nous arrive, et à 90% la façon dont on y réagit ».
Je ne peux pas m’en vouloir pour ce qui m’est arrivé mais je peux être fière de l’avoir surmonté, car je suis certaine que ce sera une des plus grandes choses que j’aurais accompli dans ma vie.
Je n’ai pas choisi de tomber malade, mais j’ai lutté avec toutes mes forces contre l’anorexie. Et j’ai gagné.
Emma